Comment interpréter le Yijing chinois

(Yi Jing, I Ching, Yiking, Yijing, Yi King, Yih-king)
Livre des mutations, Livre des Oracles, Livre de sagesse,
Le classique des mutations.



Comment interpréter le Yijing chinois.
La préface de Carl Gustav Jung 03

Cette affirmation présuppose un certain principe curieux que j’ai nommé synchronicité, concept qui formule un point de vue diamétralement opposé au point de vue causal. Puisque ce dernier est une vérité purement statistique et non absolue, c’est une sorte d’hypothèse de travail concernant la manière dont les événements sortent les uns des autres, tandis que la synchronicité prend la coïncidence des événements dans l’espace et le temps comme signifiant plus qu’un pur hasard, à savoir une interdépendance particulière d’événements objectifs entre eux aussi bien qu’avec les états subjectifs (psychiques) de l’observateur ou des observateurs. L’ancien esprit chinois contemple le cosmos d’une manière comparable à celle du physicien moderne, qui ne peut pas nier que son modèle du monde soit une structure nettement psychophysique.

L’événement microphysique inclut 1’observateur tout comme la réalité sous-jacente au Yi Jing comprend des conditions subjectives, c’est-à-dire psychiques, dans la totalité de la situation du moment Tout comme la causalité décrit la suite d’événements, ainsi, pour l’esprit chinois, la synchronicité traite de la coïncidence des événements. Le point de vue causal nous raconte une histoire dramatique sur la manière dont D est venu à l’existence -. il a tiré son origine de C, qui existait avant D, et C à son tour avait un père, B, etc. De son côté la vision synchronistique s’efforce de produire un tableau de coïncidence aussi rempli de signification.

Comment se fait-il que A’, B’, C’, D’, etc. apparaissent tous au même moment et au même endroit ?

Cela se produit tout d’abord parce que les événements physiques A’ et B’ sont de même qualité que les événements psychiques C’ et D’, et ensuite parce que tous sont les exposants d’une seule et même situation momentanée. Cette situation est considérée comme représentant un tableau lisible et compréhensible. Les soixante-quatre hexagrammes du Yi Jing sont les instruments à l’aide desquels peut être déterminée la signification de soixante-quatre situations différentes mais typiques.
Ces interprétations sont équivalentes à des explications causales. La connexion causale est statistiquement nécessaire et peut par suite être soumise à l’expérience. Dans la mesure où les situations sont uniques et ne peuvent pas être répétées, l’expérimentation dans le domaine de la synchronicité semble être impossible dans des conditions ordinaires. Dans le Yi Jing, le seul critère de validité de la synchronicité est l’opinion de l’observateur constatant que le texte de l’hexagramme correspond fidèlement à sa condition psychique.
Il est admis que la chute des pièces de monnaie ou le résultat de la division des tiges d’achillée est ce qu’il doit être nécessairement dans une " situation " donnée, dans la mesure où tout ce qui survient au moment donné lui appartient comme une partie indispensable du tableau. Si une poignée d’allumettes est jetée sur le plancher, elles forment le dessin caractéristique de ce moment. Mais une vérité aussi évidente que celle-là ne révèle sa nature signifiante que s’il est possible de lire le dessin et de vérifier son interprétation, en partie grâce à la connaissance qu’a l’observateur de la situation subjective et objective, en partie par le caractère des événements subséquents. Ce n’est manifestement pas une procédure attrayante pour un esprit critique habitué à la vérification expérimentale de faits ou à l’évidence concrète. Mais pour quelqu’un qui aime regarder le monde sous l’angle qui était celui de l’ancienne Chine, le Yi Jing peut avoir un certain attrait.
Mon argumentation, telle que je viens de l’exposer, n’est évidemment jamais entrée dans un esprit chinois. Au contraire, selon les anciennes traditions, ce sont des " influences spirituelles " agissant d’une manière mystérieuse qui font que les tiges d’achillée donnent une réponse signifiante’. Ces puissances forment en quelque sorte l’âme vivante du livre. Comme celui-ci est une sorte d’être animé, la tradition affirme que l’on peut poser des questions au Yi Jing et s’attendre à recevoir des réponses intelligentes. C’est ainsi qu’il m’est venu à l’esprit que le lecteur non initié pourrait être intéressé en voyant le Yi Jing à l’oeuvre. A cette fin j’ai fait une expérience correspondant fidèlement à la conception chinoise : j’ai, en un sens, personnifié le Livre en demandant son jugement sur sa situation actuelle, c’est-à-dire mon intention de le présenter à l’esprit occidental.