Je suis là aujourd’hui, trois décennies plus tard, à attendre cet ami, qui ma foi, doit bien avoir dans les 80 ans sinon plus!? Je ne sais plus. Il est maintenant Montréalais d’adoption depuis que son beau-père, trente et un ans auparavant, lui céda son commerce de blanchisserie rue Ste Catherine. Je salive déjà à la pensée de faire avec lui le tour du quartier en voiture. De lui faire découvrir tous les changements survenus depuis son départ. Je suis persuadé que ses yeux s’écarquilleront à la vue du magnifique parc et de toutes ces améliorations que la nouvelle administration a introduit ces dernières années afin de régénérer un quartier laissé jadis à l’abandon. Bien sûr, la tristesse se lira sur son visage lorsqu’il ne retrouvera pas sa maison rue Saint-Vallier, ni même son restaurant et ses alentours. Tout le haut de notre rue De La Chapelle a disparu dans ce réaménagement effectué dans le but d’y construire un grand cinéma et son stationnement en étages. Mais, il est homme à reconnaître que l’on n’arrête pas le progrès et que les nouvelles générations sauront faire revivre notre quartier autrefois si convivial. Je lui expliquerai que les années noires du quartier Saint-Roch sont choses du passé et que même la magnifique rue St-Joseph fut récemment restituée à ses usagés. Il comprendra enfin, que la vie va de l’avant, et se réjouira du fait que son ancien quartier demeure toujours cet endroit où il faisait bon vivre en famille. Avec ce vieil ami à mon bras, j’irai le soir venu, par les chemins de mon quartier, retrouver une parcelle de ces visions d’ombres et de lumières que nous révélaient maisons et lampadaires. Nous nous abreuverons de souvenirs impérissables que seule notre mémoire quelque peu défaillante pourrait effacer. Je raconte souvent à mes enfants, lors de nos promenades dans ce quartier, les circonstances de ma rencontre avec ces gens d’une autre race, qui jadis, contribuèrent à ensoleiller ce petit coin de la ville que j’aimerai toujours. Au jour du bilan de ma vie, j’aurai une joyeuse pensée pour les petits bonheurs que me procurèrent ces soirées au milieu de cette famille Lee Mingh.
FIN
Serge Giguère Les Éditions du Crabe, 2004.
|