Portraits des bâtisseurs

"Le Quartier chinois virtuel de Québec
Portraits des bâtisseurs

Un témoin vivant

Napoléon Woo est coiffeur de profession, chasseur passionné et propriétaire du restaurant Wok 'n' Roll, l'un des derniers établissements de l'ancien quartier chinois de Québec. Son père est arrivé de Guangzhou dans les années vingt, mais sa mère n'est venue le rejoindre que trente ans plus tard, lorsque les Chinoises ont obtenu le droit d'immigrer. Ses parents ont ouvert le restaurant en 1957. Napoléon décrit la religion de sa mère comme « bouddhiste-catholique». Sa fille fait partie de la troisième génération trilingue de la famille Woo: cantonais, anglais et français.



« À l'âge de six ans, j'ai été emmené au Saint Brigid's Home. Je ne parlais pas anglais du tout. Ma mère m'a laissé un sac de nourriture, mais je ne savais pas si elle allait revenir me chercher. Je me suis dit qu'au moins, j'avais de quoi manger. J'ai posé mon sac sur la table de chevet et je me suis couché. Il y avait 30 ou 40 garçons dans le dortoir. Le lendemain matin, le sac avait disparu. C'était tout un choc.

Nous étions assez bien traités. Il y avait un vieil homme nommé Joe qui habitait là. Il donnait des pièces de cinq sous à tout le monde, mais quand venait mon tour il disait « Il ne m'en reste plus! ». Une fois je l'ai croisé dans un corridor et il m'a traité de "sale Jap" et m'a donné un coup de poing à l'estomac. J'ai dit à une sœur que je n'étais pas japonais, mais elle m'a répondu de ne pas m'en faire avec Joe.

Les Home Boys se battaient souvent avec les garçons de l'école Saint-Patrick. Nous étions les durs à cuire, les garçons du Home. Plusieurs venaient de familles brisées, d'autres étaient orphelins ou encore avaient des parents alcooliques. Moi, j'ai eu de la chance parce qu'une autre résidente, Noreen Halton, a été gentille avec moi; elle est devenue une seconde mère.

Même si j'allais à Saint Pat's, je n'ai jamais sorti avec une anglophone, même pour une soirée. Mes petites amies de l'école étaient toutes francophones, peut-être parce que nous étions deux groupes en minorité. Une fois, une de mes amies de cœur francophones m'a invité chez elle dans le temps de Noël. Son père a décidé de mettre fin à la fête plus tôt que prévu et m'a demandé de m'en retourner chez moi. Ma mère essayait d'arranger un mariage avec une fille chinoise et elle avait des catalogues de candidates, avec leur photo, leur âge et leur taille. Toutes les communautés étaient pareilles et voulaient que leurs enfants se marient entre eux. Pourquoi pensez-vous que les Irlandais ont construit le centre de loisirs derrière Saint Brigid's?

Ma famille habitait sur la rue Saint-Vallier, au deuxième étage du quartier général du Parti nationaliste chinois, mouvement qui soutenait Tchang Kai-chek. Mon père était président. Les gens se rencontraient là pour échanger des nouvelles sur la Chine et se donner du soutien. On avait même notre propre banque. Je me souviens des hommes qui jouaient au mahjong et qui pariaient. J'ai entendu dire que certains ont perdu des centaines de milliers de dollars au jeu, et même leur restaurant.

Il y avait beaucoup de Chinois rue Saint-Vallier, et tout le monde parlait anglais. On marchait ensemble jusqu'à l'école Saint-Patrick chaque matin. Il y avait des sœurs qui avaient vécu en Chine et elles nous ont pris en main, alors on est devenus catholiques. Mais on a gardé nos traditions bouddhistes et on organisait des cérémonies dans le cimetière Saint-Charles pour faire des offrandes de nourriture aux ancêtres, à la manière bouddhiste. On fêtait aussi le festival de la Nouvelle Lune et le Nouvel An chinois. Le dernier défilé remonte à environ 15 ans. Lorsqu'ils ont détruit nos maisons pour faire place aux viaducs, les familles se sont dispersées. Il y en avait tellement qui se sont installés à Charlesbourg qu'on a commencé à appeler la 41e et la 42e avenue les "rues des Chinois".

Quand les lois sur la langue ont été adoptées, ça ne m'a pas dérangé. Je m'en faisais davantage pour les francophones: ils n'avaient plus le choix. Maintenant, j'ai plus de droits qu'eux.»

Napoléon WOO

Nous remercions l'auteure et l'éditeur pour l'autorisation de publier cet extrait de:
"Les Anglos, la face cachée de Québec, Tome II, depuis 1850, p.69

Auteure: Louisa Blair

© Commision de la capitale nationale du Québec
et Éditions Sylvain Harvey





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