M. Lee Mingh fut enfin invité à prendre la parole, mais il laissa son propre fils s’exprimer au nom de tous les siens dans un bien meilleur français que le sien. Les choses prirent soudain la tournure d’un dialogue positif car les gens se parlaient plus ouvertement. Les petits enfants de toutes races qui, depuis le matin jouaient ensemble, donnaient un édifiant exemple d’entente possible. Les rires fusaient volontiers de plusieurs groupuscules formés de Québécois de toutes souches. Certains souvenirs resurgissaient, de même que quelques claques dans le dos scellaient une amitié retrouvée. Les vexations et les affronts s’oublient facilement lorsque les gens prennent conscience de la futilité de certains malentendus. M. le curé pris la parole afin d’encourager tous ces gens à enterrer une hache de guerre qui n’avait plus sa place ce matin-là. Des breuvages et quelques nourritures furent distribuées par des bénévoles des deux camps et la « drôle de fête » se termina dans la joie, tard en fin d’après-midi. Je retournai joyeusement chez-moi, rue De La Chapelle, en compagnie de ce grand gaillard roux et les membres de la famille Lee Mingh dans un tourbillon de gais ricanements. Sur notre parcours, M. Cooper me confia que lors de l’arrivée au Canada de ces grands-parents venus d’Irlande, les sino-québécois furent les plus accueillants du quartier et qu’un heureux commerce se mit en branle entre ces nouveaux émigrants. M. Lee Mingh se rappelait très bien ces activités organisées au milieu des années cinquante afin de rapprocher les enfants de diverses nationalités nouvellement débarqués à Québec. Il m’avoua toutefois que leur légendaire discrétion ne les avait pas aidés à s’imposer comme de sympathiques voisins. Le fils Lee Mingh, grand amateur de Bob Dylan, nous assura à tous, que les choses tendaient à changer dans le village chinois du quartier Saint-Roch. « Times They Are A-Changin » » était sa chanson préférée. Nous nous quittâmes sur de sincères poignés de mains avec la promesse de se retrouver autour d’une bonne table au restaurant Le Canton afin d’y savourer les plats apprêtés par un chef récemment ragaillardi. Soudainement, promener mon chien dans le quartier était devenu pour moi un prétexte à de joyeuses rencontres qui autrefois me paraissaient impossibles, dues à une méfiance des uns envers certains autres.
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