Travaux de chercheurs en histoire
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La propagande missionnaire en faveur de la mission au Xuzhou dans la première moitié du XXe siècle au Québec par Philippe Lamothe page 3 2. La propagande « matérielle ». Cette seconde partie cherche à mettre en exergue comment la propagande dite « matérielle », qui ne commandait pas une présence physique pour fonctionner, fut utilisée pour s’immiscer dans toutes les couches de la société[36]. L’étendue de la propagande des missionnaires jésuites en faveur de la mission au Xuzhou au Québec lors de la première moitié du XXe siècle sera ici mis en évidence, il sera possible d’en traiter dans des termes qualificatifs plutôt que quantitatifs. Avant toute chose, on doit illustrer l’importance sociale des missionnaires jésuites dans la société québécoise du XXe siècle : « l’opposition du gouvernement du Québec, dirigé par Maurice Duplessis, à la reconnaissance de la RPC [à la suite de sa proclamation officielle par Mao Zedong le 1er octobre 1949] est en fait le résultat du travail d’un lobby missionnaire qui présente des pétitions contre le régime communiste[37]». On traitera d’abord de la radiodiffusion et de son apport pour le partage de la propagande, ensuite des constructions d’écoles en Chine pour favoriser l’opinion publique, puis de la littérature présente dans l’espace public et de la revue Le Brigand. a) La radiodiffusion et les écoles en Chine. Le recours à la radiodiffusion par les missionnaires jésuites au Québec s’imbriquait dans la foulée des stratégies de propagandes par l’Église de Rome, le Saint-Siège l’employa dès 1931 afin de favoriser l’unité de la catholicité. La création de Radio-Vatican par Pie XI en 1931 entraina un changement d’attitude de la part du clergé québécois, le rendant plus favorable à la radiodiffusion. Cette adaptation à la modernité fut redoublée par la participation de conseillers reconnus dans l’espace public comme Jean Nolin et Roger Baulu, étant respectivement un ancien élève du collège Sainte-Marie et un conseiller technique chez Radio-Canada, afin d’offrir du contenu de meilleure qualité. Le tout fut accompagné de la mise en place d’un comité de la radio en 1942[38]. L’étendue de la propagande des missionnaires jésuites en faveur de la mission au Xuzhou fut amplifiée par l’utilisation de la radiodiffusion par les missionnaires. Ceux-ci s’en servaient pour partager leurs expériences, tenir des sermons et des conférences, annoncer des expositions ou des évènements importants. Un des buts principaux de son utilisation fut d’assurer la relégation du discours missiologique en rejoignant habilement les familles du Québec pour multiplier les dons pour l’éducation des Chinois à la vie religieuse. Les avantages reliés à l’utilisation de la radio pour faire la propagande furent multiples, les organisateurs des conférences bénéficiaient de temps d’antenne à rabais ou gratuitement, en plus d’une publicité sans frais sur les camions de livraison, les tramways et dans les gares. De plus, la radio rejoignait les milieux élitistes tout en s’adressant au public analphabète : « [cette] diffusion [attirait] des membres des Voyageurs du commerce, l’Association catholique des cheminots, les autorités des universités Laval et de Montréal, d’autres regroupements des Jésuites du Québec, etc.[39] ». Par les conférences et les discussions tenues à la radio, les missionnaires jésuites pouvaient attirer la sympathie du public québécois en mentionnant leurs réalisations accomplies outre-mer. Puisque les stigmates sur les Chinois n’étaient pas encore totalement déconstruits lors de la première moitié du XXe siècle, la construction d’établissements d’enseignement en Chine par les missionnaires québécois fut très appréciée au Québec. Cela se ressent dans les discours des missionnaires : [déjà] un peu échaudés par les idéaux républicains insistant sur la séparation de l’Église et de l’État, les missionnaires [voyaient] avec le communisme apparaître le spectre de la persécution de l’Église. Ils affirmaient également que les révolutionnaires marxistes étaient des agents de contamination de l’âme chinoise[40]. Les réalisations des missionnaires québécois en Chine furent grandioses pour l’époque. Il ne faut pas s’en surprendre puisqu’ils disposaient d’une autorité « suprême » : « le 17 avril 1928, à la veille d’un voyage pour Hoan-k’eou, Édouard Lafortune fait préparer tout ce dont il aura de besoin par ses « gens », [en occurrence des Chinois sous son autorité] ». Il avait donc la mainmise sur l’ensemble de la communauté religieuse de la région environnante au Xuzhou[41]. Leur situation et leur statut en Chine étaient uniques : « Georges Marin [fut] nommé vice-supérieur par un télégramme lui étant remis à 23h00 [le 14 août 1931] ». Rosario Renaud commenta cette nomination en affirmant : « [qu’en effet], les Jésuites [canadiens-français] à qui Rome [venait] d’assigner ce territoire n’y [étaient] qu’une poignée, la plupart au début de leur carrière, faisant l’apprentissage de la langue et des mœurs[42] ». Ce fut donc sous le joug des missionnaires que s’entreprit la construction d’établissements d’enseignement en Chine. Comme on l’a évoqué, certains missionnaires québécois en Chine jouissaient d’une popularité sans limites. Par exemple, le père Alphonse Dubé suscitait un véritable culte, si bien que certains Chinois se prosternèrent devant lui en guise de respect[43]. La diffusion d’informations concernant les constructions missionnaires en Chine fut une stratégie de propagande utilisée par les jésuites au Québec lors de la première partie du XXe siècle. Ils se servaient de tous les moyens à leur disposition pour favoriser l’opinion publique, notamment de la littérature et de la revue missionnaire Le Brigand dont on traitera ensuite : « en 1932, Georges Marin vantait les succès de la mission en affirmant qu’on comptait 3000 élèves de plus dans les écoles au Xuzhou qu’à pareille date l’année précédente[44] ». C’est dans ce contexte qu’on apprend qu’en 1934, l’Église « [comptait] 58 000 fidèles en Chine et plus de 250 écoles[45] ». Les missionnaires utilisaient donc le succès que connaissaient leurs écoles pour sensibiliser les Québécois à leur cause en vantant le mérite des institutions qu’ils mirent sur pied au Xuzhou. Les missionnaires ont fourni des données relatives à ces éléments tout au long de la première moitié du XXe siècle, si bien qu’on peut maintenant suivre l’évolution de ce domaine aisément. Les premières données statistiques furent disponibles dès 1925 et elles provenaient du père Georges Marin, il affirma qu’en 1924 « chaque missionnaire [se trouvait] en charge de 260 000 païens, [de 2041 chrétiens et de 5 écoles][46] ». Malgré les responsabilités considérables auxquelles les missionnaires québécois devaient faire face en Chine, le père Marin restait optimiste quant au développement de la mission : « les écoles regorgent d’enfants, les catéchuménats d’adultes qui étudient notre sainte religion[47] ». Parallèlement, on peut déceler la croissance des établissements d’enseignement dans les sources primaires ultérieures : « en 1935-1936, il y avait 284 écoles dont 234 pour les garçons, on comptait 8719 élèves dont 2461 de ce nombre étaient des filles. En plus, les établissements scolaires étaient dirigés par 383 maîtres d’écoles[48] ». Le développement se poursuivit jusqu’au début de la guerre sino-japonaise évoquée en introduction, en 1937-1938, on comptait alors 365 écoles et 444 enseignants[49]. Afin de préciser notre propos, on doit mentionner qu’il y avait deux types d’écoles, les écoles de livres où les étudiants étaient destinés à être catéchistes et les écoles à vocation d’instruction religieuse et de prières[50]. Somme toute, le réseau de propagande fut complété par la littérature et la revue missionnaire Le Brigand. b) La littérature et la revue missionnaire Le Brigand. La littérature de propagande des missionnaires jésuites en faveur de la mission au Xuzhou au Québec dans la première moitié du XXe siècle fut en très grande majorité francophone. Elle prenait place dans les journaux comme Le Soleil, L’Action Catholique, Le Devoir et La Presse dès les années 1930 : « peu importe la distance culturelle, le Québec s’intéresse à la Chine en raison de l’histoire qu’il partage avec elle. Plus d’une centaine de livres ont paru sur la Chine au Québec avant la Révolution tranquille [51]». Ainsi, Serge Granger retraça efficacement les balbutiements de la littérature à visée de propagande au Québec en mentionnant qu’elle se développa rapidement après la Première Guerre mondiale et qu’elle devint une habitude culturelle à partir de septembre 1929 avec la parution d’articles québécois dans les Annales des Franciscaines Missionnaires de Marie[52]. Parallèlement, les journaux québécois n’étaient pas insensibles face à la mission au Xuzhou. Dans un article paru dans La Presse le 21 août 1918, on apprend le départ du père Paul Gagnon vers la Chine. L’article est assez bref, mais il rendait compte au lecteur de l’objectif du missionnaire : « [nous] apprenons le prochain départ pour les missions de Chine, du Père Paul Gagnon, Jésuite, […] à Vancouver, sur le « Catarfna-Maru », le cinq septembre, se rendant à Sienhsien, mission du [Siu-tcheou fou][53] ». Dans le même ordre d’idées, un article du journal Le Progrès du Saguenay, datant du 9 novembre 1931, évoquait le succès des conférences tenues par les missionnaires jésuites au Québec. L’article intitulé « Conférence instructive du R.P. Lavoie S.J. hier » mentionne que « la salle de représentation du théâtre était remplie », ce qui rappelle le triomphe des conférences dans la période d’entre-deux-guerres[54]. Toutefois, la propagande des missionnaires jésuites au Québec prenait place dans la revue missionnaire Le Brigand. Cette revue se développa sous l’impulsion du père Joseph-Louis Lavoie en 1930 et connut un succès immédiat, son tirage passa de 1400 exemplaires vendus en 1930 à 5000 en 1934[55]. Un avantage relié à l’utilisation de la revue à des fins de propagande fut qu’elle ne coûtait pas cher à produire, elle permit de générer les trois quarts des dons reçus à la Procure de Chine entre 1939 et 1949. De plus, les revenus représentaient 25 fois les coûts de production[56]. Le succès qu’a connu Le Brigand s’expliquait également par la possibilité d’adopter un enfant chinois au coût d’un dollar en échange d’une photo de celui-ci, la demande de dons lors de la mort de personnalités publiques reconnues comme le père Arthur Tremblay, le ton humoristique qui teintait les écrits et les leçons moralisatrices tempérées par les commentaires des lecteurs. De plus, les photos remplaceront progressivement les dessins à partir du numéro 60 de décembre 1938[57]. À l’instar des articles portant sur le développement des établissements d’enseignement, Le Brigand instruisait ses lecteurs sur la situation des missionnaires québécois en Chine. Dans un numéro suivant le début de la guerre sino-japonaise, on apprend que des attaques et des bombardements chamboulent la situation quotidienne. Sur les 300 000 habitants d’une parcelle de la région de Xuzhou, uniquement 6000 restèrent. Parmi ceux-ci, 2000 trouvèrent refuge dans les bâtiments de la mission[58]. Ces informations ont possiblement pu ébranler le public québécois puisque celui-ci était toujours « distant » face à la Seconde Guerre mondiale, considérant que le Canada n’était pas encore formellement en guerre. Le contexte chinois d’après-guerre fut aussi exacerbé dans Le Brigand. Les confrontations entre communistes et nationalistes qui menottaient les missionnaires furent au cœur des publications : « les communistes ne se gênent pas pour attaquer, occuper, détruire et même tuer[59] ». On peut également déceler l’inquiétude des missionnaires quant au revirement de domination territoriale, désormais sous le joug des « Rouges » de Mao Zedong : « les prêtres en territoire rouge sont tous, en quelque façon, candidats au martyre. À n’importe quel moment, ils peuvent être arrêtés, jetés en prison, soumis à la torture, mis à mort, sans que personne ne puisse les protéger[60] ». Le réseau de propagande des missionnaires jésuites au Québec lors de la première moitié du XXe siècle fut donc très versatile tout en étant à l’affût des développements plus modernes en ce qui a trait au divertissement de masse. Le recours aux conférences, au cinéma, au théâtre, aux expositions et au Musée chinois de Québec semble alors opportun pour les jésuites. Conjointement, l’utilisation de la radiodiffusion et le partage des constructions missionnaires favorisaient l’opinion publique tout en rejoignant un maximum de personnes. La littérature et la revue Le Brigand permirent aux missionnaires d’entrer dans plusieurs foyers québécois pour sensibiliser la population quant à la mission au Xuzhou. Conclusion. L’analyse des propagandes « physique » et « matérielle » permet de dégager deux conclusions principales. D’abord, les efforts de propagande « physique » des missionnaires ne furent pas inutiles puisque leurs évènements ont connu un succès considérable. Parallèlement, ces évènements demandant une présence physique ont permis aux missionnaires de remplir leurs objectifs économiques, ce qui témoigne d’une certaine réussite de la propagande. Ensuite, la propagande « matérielle » permit aux missionnaires de s’imposer dans la vie courante en rejoignant la propagande physique et les moyens de diffusion de masse comme la radio, le théâtre et le cinéma. L’apport économique de la revue missionnaire Le Brigand démontre aussi le franc succès de la propagande. Ainsi, l’étendue de la propagande des missionnaires jésuites en faveur de la mission au Xuzhou au Québec lors de la première moitié du XXe siècle fut globale puisque les différents moyens de propagande furent utilisés pour pénétrer les foyers québécois. Les revenus tirés des différents types de propagande démontrent le triomphe de celle-ci dans un Québec embourbé économiquement et politiquement, mais la mission au Xuzhou succombera finalement au contexte politique international de l’époque. Dans une recherche future, il pourrait être intéressant de brosser un portrait peignant les similitudes et les oppositions dans la propagande missionnaire entourant les missions en Chine en comparant le cas québécois et le cas français. |
36] R. Renaud, Süchow : diocèse de Chine, 1882-1931, op. cit., p. 20-22. [37] S. Granger, Le lys et le lotus : les relations du Québec avec la Chine de 1650 à 1950. op. cit., p. 129. [38] À ce sujet, voir S. C. Fleury, « Le financement canadien-français de la mission chinoise des Jésuites au Xuzhou de 1931 à 1949 », op. cit., p. 22. [39] S. C. Fleury, « Le financement canadien-français de la mission chinoise des Jésuites au Xuzhou de 1931 à 1949 », op. cit.,p. 74-75. [40] S. Granger, Le lys et le lotus : les relations du Québec avec la Chine de 1650 à 1950, op. cit., p. 56. [41] É. Lafortune, Canadiens en Chine : croquis du Siu-tcheou fou : mission des jésuites du Canada, op. cit., p. 60. [42] R. Renaud, Le Diocèse de Süchow, Chine : champ apostolique des jésuites canadiens de 1918 à 1954, op. cit., p. 59. [43] Anonyme, « Prestige », Le Brigand, 62 (mars 1939), p. 11. [44] Anonyme, Le Brigand, 14 (mai 1932), « Supplément du Brigand ». [45] S. Li, « Les jésuites canadiens français et leur mission en Chine, 1918-1945 », op. cit., p. 342. [46] G. Marin, La Chine à Dieu : une mission canadienne, le Siu-Tcheou-Fou, op. cit., p. 1. [47] G. Marin, La Chine à Dieu : une mission canadienne, le Siu-Tcheou-Fou, op. cit., p. 15. [48] Anonyme, « Inconnue », Le Brigand, 47 (février 1937). [49] Anonyme, « Œuvres de la Mission de Süchow (1937-1938) », Le Brigand, 61 (février 1939), p. 8-9. [50] É. Lafortune, Canadiens en Chine : croquis du Siu-tcheou fou, op. cit., p. 157. [51] S. Granger, Le lys et le lotus : les relations du Québec avec la Chine de 1650 à 1950, op. cit., p. 139. [52] Ibid., p. 54. [53] Anonyme, La Presse, « Le Père Paul Gagnon s’en va en Chine », 21 août 1918, Collections de BAnQ, p.7. [54] Anonyme, Progrès du Saguenay, « Conférence instructive », 1931-11-09, Collections de BAnQ, p. 4-6. [55] J.-L. Lavoie, « Premier numéro », Le Brigand, 1 (1930) p. 1-2. [56] À ce sujet, voir S. C. Fleury, « Le financement canadien-français de la mission chinoise des Jésuites au Xuzhou de 1931 à 1949 », op. cit., p. 81. [57] S. Li, « Les jésuites canadiens français et leur mission en Chine, 1918-1945 », op. cit., p. 340. [58] L. Bouchard, « Après le désastre », Le Brigand, 58 (septembre 1938). [59] Anonyme, « Nouvelle de Chine », Le Brigand, 108 (décembre 1947). [60] L. Bouchard, « Fuir… ou rester…??», Le Brigand, 118 (décembre 1948). |
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