Histoire

Travaux de chercheurs en histoire




Le belligérant oublié : la mission jésuite canadienne-française du Xuzhou (1937-1955)

par Jean-François Berthiaume-Fernandez

page 1

Introduction

Entre 1918 et 1949, une centaine de jésuites canadiens-français sont envoyés dans la région du Xuzhou, au nord-est du Jiangsu, en Chine. Ces derniers restent jusqu’à leur expulsion au début des années 1950, à la suite de la proclamation de la République populaire de Chine par Mao Zedong, le 1er octobre 1949. Cette relative longévité est cependant loin de refléter les innombrables épreuves que doit surmonter la mission, particulièrement les conflits armés qui ponctuent leur séjour. En effet, la Chine de la première moitié du XXe siècle est caractérisée par son désir de fonder une société civile chinoise en phase avec une modernisation des structures ancestrales. En 1912, après la chute de la Chine impériale, Sun Yat-sen et son parti, le Kuomintang (KMT), accèdent au pouvoir et tentent d’établir une République chinoise. En parallèle, le Parti communiste chinois (PCC), formé en 1921, partage — grosso modo — les mêmes objectifs que les nationalistes et étend son influence pendant la décennie. En 1927, ils éradiquent ensemble les seigneurs de guerre qui minaient la révolution nationaliste, mais s’embarquent ensuite dans un long et violent conflit civil. Une trêve sous forme d’un nouveau front uni est cependant établie de 1937 à 1945 afin de repousser l’envahisseur japonais. Les affrontements se poursuivent tout de même jusqu’en 1949.

De quelles façons ces profondes mutations — idéologiques, notamment — de la Chine ont-elles affecté l’apostolat de la mission du Xuzhou ? L’intransigeance doctrinale de la mission du Xuzhou a-t-elle accéléré la perte de la mission ? L’historiographie présente des pistes de réponses pour chacune des trois périodes concernées, le contexte républicain, l’occupation japonaise et la prise du pouvoir par le PCC. Shenwen Li[1] et Diana Lary[2] décrivent les conséquences de l’invasion nippone de la Chine sur la mission du Xuzhou. Lary brosse également, avec Jacques Langlais[3] , un portrait global de la proximité entre les sociétés canadienne-française et chinoise du Xuzhou. Serge Granger[4] et Samuel C. Fleury[5] approfondissent sur les différentes idéologies qui se rencontrent en Chine à l’époque, particulièrement le catholicisme et le communisme. Rosario Renaud[6] , missionnaire au Xuzhou (1935 à 1949), puis historien jésuite, se penche sur l’évolution de la mission. La myriade d’articles, lettres et divers textes publiés dans le périodique Le Brigand, fondé en 1930 à Québec, répond pareillement à ce besoin — et désir — de relater les événements survenus sur le territoire du Xuzhou. Antonio Dragon[7], un autre jésuite, a documenté les sévices vécus par le Père Bernard au début des années 1940, sous l’occupation nipponne, selon des lettres et autres écrits du martyr. Ces sources représentent de riches témoignages francophones au cœur du corpus retenu dans le cadre de ce travail. D’autres volumes permettront de saisir le contexte géopolitique du moment et ses origines idéologiques : Alvyn J. Austin[8] consacre un livre aux missions canadiennes en Chine en mettant l’accent sur la conjoncture chinoise de l’époque, tandis que les monographies de John K. Fairbank[9] et Rana Mitter[10] décrivent les manifestations sociales, politiques et militaires pour la période de 1912 à 1955. En somme, ce travail de recherche s’articulera autour d’un plan chronologique afin de montrer les changements subséquents en Chine et leurs conséquences sur les Jésuites du Xuzhou. La première partie portera sur l’invasion japonaise et ses effets sur l’apostolat alors que la deuxième se concentra sur le profond écart qui divise les Jésuites et les Communistes, ainsi que ses répercussions sur la mission.




[1] Shenwen Li, « Les jésuites canadiens-français et leurs écoles catholiques en Chine (1919-1949) », Shenwen Li et al., dir. Rencontres et médiations entre la Chine, l’Occident et les Amériques : missionnaires, chamanes et intermédiaires culturels, Québec, Presses de l’Université Laval, 2015, p. 353-368.
[2] Diana Lary, « Faith and War Eyewitnesses to the Japanese invasion of China: Quebec’s Jesuit priest », Modern Asian Studies, 39, 4 (2005), p. 817-843.
[3] Jacques Langlais, Les jésuites du Québec en Chine, 1918-1955, Québec, Presses de l’Université Laval, 1979, 379 p.
[4] Serge Granger, « French Canada’s Quiet Obsession with China », The Journal of American-East Asian Relations, 20, 2-3 (2013), p. 156-174.
[5] Samuel C. Fleury, « Le financement canadien-français de la mission chinoise des Jésuites au Xuzhou de 1931 à 1949 », Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2014, 149 p.
[6] Rosario Renaud, Le diocèse de Süchow, Chine : champ apostolique des jésuites canadiens de 1918 à 1954, Montréal, Éditions Bellarmin, 1982, 462 p.
[7] Antonio Dragon, Le Père Bernard, Montréal, Messager canadien, 1948, 235 p.
[8] Alvyn Austin, Saving China: Canadian missionaries in the middle Kingdom: 1888-1959, Toronto, University of Toronto Press, 1986, 395 p.
[9] John King Fairbank et Merle Goldman, Histoire de la Chine. Des origines à nos jours, Paris, Éditions Tallandier, 2010, 751 p.
[10] Rana Mitter, A Bitter Revolution: China’s struggle with the modern world, Oxford, Oxford University Press, 2005, 357p.