Histoire

Travaux de chercheurs en histoire




Le belligérant oublié : la mission jésuite canadienne-française du Xuzhou (1937-1955)

par Jean-François Berthiaume-Fernandez

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1. L’invasion japonaise et ses conséquences sur la mission du Xuzhou.

Après des décennies de prétentions impérialistes, le Japon se lance officiellement en guerre avec la Chine en juillet 1937. L’harmonie et la protection partielles obtenues sous le gouvernement du Kuomintang s’effritent considérablement. En mai 1938, les troupes japonaises occupent le Xuzhou jusqu’à sa capitulation en 1945. Malgré la proximité entre la mission et les hécatombes des batailles, des documents tels Le Brigand et Le diocèse de Süchow présentent certains avantages de l’envahissement japonais sur l’entreprise apostolique canadienne-française. Si la guerre sino-japonaise facilite l’évangélisation d’un point de vue quantitatif, elle génère des atrocités allant de la destruction de bâtiments aux massacres de civils, sans oublier la crainte de voir un gouvernement communiste accaparer le pouvoir une fois l’ennemi commun vaincu[11][12].

1.1. La mission du Xuzhou à la rescousse de la population.

À l’origine, la guerre n’affecte que très peu la mission, d’un point de vue physique, car elle est protégée par son statut international, c’est-à-dire la bannière française. Nonobstant cette protection, la déclaration de guerre et l’avancée japonaises sur le territoire de la mission représentent un fardeau moral immense pour les missionnaires. L’article intitulé « Le bal » tiré du Brigand de septembre 1938 rapporte à ce sujet : « Ils l’ont vue (…) nos missionnaires de Chine, durant des mois sans fin, durant des jours bourrés d’angoisse qui leur parurent longs comme des siècles. (…) ils auront été changés par l’atroce vision de mort devenue, depuis plus d’un an, leur quotidienne vision»[13] . En effet, les traumatismes occasionnés par la guerre plongent bon nombre de Chinois dans une énorme misère. De plus, la Chine, dont les efforts se concentrent sur sa défense, a peine à répondre aux besoins de son immense population[14] . C’est ainsi que de plus en plus de Chinois, « païens » comme chrétiens, se tournent vers les Pères pour obtenir refuge : « d’instinct ils se rapprochent de ceux dont ils connaissent la bienfaisance, la sympathie et le courage[15]».

Toutefois, plus les Japonais s’avancent et bombardent, plus les Chinois fuient. Dans l’article « Après le désastre », trouvé dans le Brigand de septembre 1938, on mentionne que seulement 6 000 habitants des 300 000 sont restés à Xuzhou. De ces 6 000, 2000 ont trouvé refuge à la mission[16]. Paradoxalement, plusieurs Jésuites considèrent les circonstances comme une bénédiction. C’est le cas du Père Alphonse Dubé — en Chine depuis une dizaine d’années au moment de l’invasion — qui voit la guerre comme u décret divin qui lui confère la responsabilité des populations locales et qui ouvre les portes de ses établissements aux réfugiés, catholiques comme « païens »[17]. En effet, plusieurs néophytes reçoivent un badge ou une médaille qui atteste leur chrétienté et les protège contre les tourments japonais, un puissant incitatif à la conversion[18]. Toutefois, la question du baptême de Chinois devient problématique pour certains missionnaires pour qui leur séjour en Chine était motivé par l’évangélisation de la population. En effet, ils considèrent la « conversion par commodité » comme illégitime, parce que non justifiée par la foi seule[19]. Malgré tout, les premières années de l’occupation japonaise riment avec résistance et résilience pour les missionnaires canadiens-français du Xuzhou : « Ils restent. Et c’est pour voler au secours des blessés, pour consoler la mort, bander des plaies (…) et c’est pour promener à travers ces scènes d’horreur l’image sereine, la radieuse douceur de la Charité infinie restée, elle aussi, dans l’Église»[20]. Malgré les malheurs qui accablent les Chinois, on peut avancer l’hypothèse que ceux-ci renforcent le besoin pour l’Église catholique d’intervenir dans le sauvetage de ces pauvres âmes.

Malgré cette chance de propager la religion et le zèle inébranlable des missionnaires, la mainmise des Japonais sur le territoire de la mission s’accompagne de la fermeture et la destruction de plusieurs bâtiments ainsi que des persécutions épisodiques.




[11] Lary, loc. cit., p. 831.
[12] Ibid., p. 830.
[13] J. Louis Savoie, « Le bal », Le Brigand, Québec, no. 58, septembre 1938, p. 1.
[14] Ibid., p. 2.
[15] Renaud, op. cit., p. 137.
[16] Louis Bouchard, « Après le désastre », Le Brigand, Québec, no. 58, septembre 1938.
[17] Renaud, op. cit., p. 168.
[18] Lary, loc. cit., p. 828.
[19] Ibid., p. 827.
[20] Savoie, loc. cit., p. 2.