Histoire

Travaux de chercheurs en histoire




Le belligérant oublié : la mission jésuite canadienne-française du Xuzhou (1937-1955)

par Jean-François Berthiaume-Fernandez

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1.2. Les écoles catholiques chinoises sous l’occupation nippone.

Dans les années 1930, le système d’éducation québécois reste encore tributaire du clérico-nationalisme propulsé par l’Église catholique, qui encourage fortement un enseignement public confessionnel[21]. De son côté, la Chine nationaliste et ses prétentions modernisatrices accueillent cet élan pédagogique[22]. En mai 1938, lorsque les Japonais prennent le contrôle de la région du Xuzhou, elle compte près de 365 écoles, partagées entre primaires et secondaires. Plusieurs établissements sont touchés et la nervosité est extrême : plusieurs élèves désertent et des professeurs s’insurgent à la fin des années 1930 ; l’entreprise éducative de la mission est mise sur pause[23].

En 1940, les écoles missionnaires peuvent poursuivre leurs activités et la reprise s’accompagne d’une recrudescence des admissions. En effet, la qualité de l’enseignement et la résistance aux autorités japonaises – qui occupent désormais partiellement les écoles nationales –, poussent les parents à envoyer leurs enfants, en grand nombre, dans les établissements missionnaires du Xuzhou[24]. La guerre sino-japonaise apparaît néanmoins désastreuse du point de vue financier : les dégâts occasionnés par le conflit accaparent des milliers de dollars au budget de la mission[25]. Les sommes jadis injectées dans le réseau scolaire sont désormais consacrées aux réparations de guerre. De ce fait, les écoles de la mission ne peuvent payer les instituteurs et sont obligées de solliciter les dons, un dur coup pour les parents peu fortunés de la région. En parallèle, la difficulté à intéresser les jeunes Chinois en matière religieuse et les succès du communisme dans les milieux ruraux posent un autre problème aux missionnaires[26].

De surcroît, ces derniers ne sont pas au bout de leur peine puisque l’apaisement de 1940 susmentionné prend fin rapidement. Un nouvel obstacle se présente en 1941 avec l’attaque conduite par l’Empire japonais contre la base américaine de Pearl Harbor, qui se traduit par une occupation encore plus intransigeante de la Chine, et donc de la mission du Xuzhou et ses institutions. En novembre 1942, le directeur du Collège Saint-Louis, plus importante école du réseau jésuite, est arrêté sous prétexte des activités antijaponaises du collège. Cette croisade contre le sentiment antinippon atteint son paroxysme en 1943 lorsque trois missionnaires sont capturés par l’occupant. Le 9 mars, le Père Alphonse Dubé organise un banquet avec les Jjésuites Armand Lalonde et Prosper Bernard. Les trois sont accusés d’avoir commis un « acte hostile » au Japon, faisant des trois Canadiens-français ses ennemis directs. Après des délibérations et une libération provisoire, relatées dans Le Père Bernard, ils sont finalement exécutés. Si l’expérience est traumatisante pour plusieurs missionnaires et habitants du Xuzhou, elle demeure un autre exemple du rigorisme de la doctrine catholique ; elle se transforme en un nouvel instrument apostolique : « Le P. An (…) rapporte qu’une grande croix lumineuse est apparue dans le ciel et que même les païens l’ont vue et adorée (…) Le tombeau de Fonghsien devient bientôt un lieu de réconfort pour les pauvres chrétiens de la ville et des alentours. Ils viennent souvent y déposer des fleurs »[27]. Malgré tout, l’incident entraîne de terribles conséquences pour la mission : en novembre de la même année, les Jjésuites canadiens-français sont internés à Shanghai jusqu’à la capitulation japonaise. Le réseau scolaire, déjà affaibli, connaît ses jours les plus difficiles.

En somme, l’occupation nippone de la Chine entre 1937 et 1945 devient un couteau à double tranchant pour la mission du Xuzhou. Elle attire de nouveaux fidèles et consolide la collaboration des missionnaires avec le gouvernement nationaliste, mais les dégâts restent monumentaux et les institutions ecclésiastiques sont lourdement touchées. Il est cependant possible de poser l’hypothèse que l’invasion japonaise n’était qu’un léger obstacle au zèle apostolique des missionnaires, qui n’ont pas froid aux yeux devant la misère qu’elle apporte. C’est plutôt la guerre civile qui révélera l’incapacité de la mission à s’adapter aux réalités de l’époque. En effet, les troupes républicaines et communistes, malgré leur front commun contre l’Empire japonais, poursuivent leurs affrontements idéologiques et militaires au Xuzhou.




[21] Langlais, op. cit., p. 287.
[22] Li, loc. cit., p. 362.
[23] Ibid., p. 358.
[24] Ibid.
[25] Fleury, loc. cit., p. 119.
[26] Li, loc. cit.
[27] Dragon, op. cit., p. 237.